Alors que le confinement des Français est prolongé jusqu'au 11 mai a minima, le Sgen-CFDT continue à partager des témoignages de collègues. Bruno, enseigne avec des élèves de SEGPA. Pas forcément facile de garder le lien avec des jeunes parfois en rupture scolaire, il témoigne.
Bruno Charles est Professeur des Écoles spécialisé au Collège Paul Eluard de Saint-Étienne-de-Mont dans le Pas-de-Calais où il enseigne en SEGPA. Il travaille en doublette avec les enseignants du second degré au sein des classes de sixième ordinaire qui accueillent ses 10 élèves, une véritable sixième inclusive. Soutenu par le Principal, l’équipe du collège a choisi de sortir les élèves d’inclure les élèves de Segpa dans les classes pour toutes les disciplines. Ces élèves, fragiles, se voient ainsi proposés de travailler comme les autres sur la base de parcours pédagogiques spécifiquement conçus en équipe.
6ème SEGPA et confinement ?
Lorsque le collège a fermé ses portes, ces élèves de SEGPA, qui pour certains, étaient en rupture avec l’école, sont retournés à leur domicile pour le confinement. Le Sgen-CFDT a voulu savoir comment Bruno continuait de travailler avec eux, de les suivre et au-delà de cela, comment le travail d’équipe de son collège se maintenait.
On est passé à ce qu’on pourrait appeler une forme d’inclusion numérique, car le souci majeur a été que pour la plupart des élèves concernés la fracture numérique est une douloureuse réalité. Et ce travail a finalement été fait autant pour les familles que pour les élèves. C’est la relation téléphonique directe avec les familles qui m’a permis à la fois de leur apporter l’aide nécessaire pour accéder au travail scolaire, et d’adapter la proposition de travaux.
Plus que des cours à distance ou des exercices purement scolaires, j’ai dû m’appuyer sur le quotidien, le vécu. A l’image des projets que je menais lorsque j’avais ma classe en SEGPA.
Avant les élèves eux-même, la base de tout mon travail se construit pendant le confinement sur une relation téléphonique directe avec les familles.
Ensuite, pour certains qui maîtrisent l’ENT ou sont suffisamment accompagnés il m’a suffit d’adapter les documents et travaux proposés par mes collègues disciplinaires ou de moduler la quantité de travail ou d’assouplir les délais et exigences.
Un programme d’activités hebdomadaires qui s’appuient sur le vécu et le réel…
Pour d’autres en difficulté beaucoup plus lourdes, j’ai proposé un programme d’activités hebdomadaires qui s’appuient sur le vécu et le réel, des maths avec les paires de chaussettes ou le poids des personnes dans la maison, du français avec les recettes de cuisine par exemple.
Chaque fois à partir de ce qu’ont pu me dire les familles et d’un détail qui fonctionne incroyablement bien pour maintenir le lien et l’intérêt : une situation de communication écrite réelle entre les élèves et moi, une correspondance scolaire particulière entre les élèves et moi, et pour laquelle j’ai demandé aux familles de ne pas effectuer de correction du tout.
C’est brut, c’est court, parfois à la limite du compréhensible, mais je ne peux que constater l’implication de chacun dans cette correspondance, et une amélioration notable et presque naturelle de la qualité de leurs écrits au fil des échanges.
Pas avec toutes les familles, mais avec certaines ça a été une petite révolution. Il y a d’abord eu un soulagement réel de leur part de se sentir accompagnées, surtout pour les familles où les compétences numériques sont peu développées, et d’être humainement pris en compte, sans jugement.
On a basculé d’une crainte distanciée à une plus grande confiance mutuelle.
J’en étais déjà convaincu, mais cela me renforce dans l’idée que l’inclusion a besoin des familles pour prendre corps, que l’inclusion scolaire c’est aussi donner aux familles les moyens de comprendre la démarche et d’y participer en prenant soin de préserver leur rôle éducatif.
Cela a permis de lever une forme d’inhibition : les familles que j’ai le plus accompagnées me sollicitent désormais beaucoup plus facilement, beaucoup plus librement, sans que cela ne devienne jamais envahissant. Il me semble qu’on a basculé d’une crainte distanciée à une plus grande confiance mutuelle. On pourrait presque dire que le confinement a rapproché l’école et ces familles.
Depuis le début de l’année scolaire, le travail collectif a été très présent grâce à la mise en place par le chef d’établissement de deux réunions hebdomadaires avec mes collègues. Ce travail récurrent a aujourd’hui des effets visibles. Certains des collègues concernés adaptent désormais très efficacement leurs documents ou leurs travaux, et dans la plupart des cas je ne leur suis pas utile en cette période, ce qui me permet de me concentrer sur les élèves pour lesquels la situation aggrave lourdement les difficultés.
Le travail collectif qui a précédé permet le fonctionnement en parallèle.
Au tout début du confinement, ce sont eux qui ont pu me signaler certains élèves qui ne répondaient pas, ce qui m’ a permis de prendre le relais. De son côté, la direction a mis en place un suivi hebdomadaire de la continuité pédagogique, très utile et efficace.
Nous communiquons, mais ne travaillons pas réellement ensemble. En l’occurrence ce n’est pas un souci car tout le travail collectif qui a précédé permet ce fonctionnement en parallèle.
A court et moyen terme, c’est une certitude. Le retour à la norme sera difficile, probablement, et le confinement laissera des traces. J’espère simplement que l’analyse de la période permettra des changements profonds et durables, en particulier sur la place des familles à qui nous devons donner les moyens d’être pleinement acteurs de la scolarité des élèves.
Un lien avec les familles qui devra être maintenu
On le voit bien à travers ce témoignage, les enseignants font preuve durant cette période d’un investissement professionnel qui dépasse très largement le cadre purement pédagogique. La relation avec les familles, notamment pour les plus fragiles est au centre des préoccupations pour permettre à l’élève, l’enfant, le jeune de garder un lien ténu avec son établissement.
Pour le Sgen-CFDT, ce lien devra être entretenu quand cette crise sera derrière nous. De nouvelles relations se sont nouées et elles devront se poursuivre, tout le monde a à y gagner et avant tout les élèves.