Suite à la situation sanitaire exceptionnelle ayant conduit à la fermeture de tous les lycées, l’annonce assez rapide de la délivrance du bac en contrôle continu semblait la moins mauvaise des solutions pour faire face à la crise.
Pourtant deux mois plus tard, à la veille de l’organisation des jurys qui officiellement délivreront le bac, tout semble encore bien flou, et en particulier pour les premiers concernés : les élèves.
Des modalités de délivrance du Bac qui paraissent de bons sens face à la crise sanitaire
Sur le principe pourtant tout est clair depuis le 16 mars : l’élève obtiendra son bac si la moyenne des notes coefficientées obtenues dans l’ensemble des enseignements de sa série est supérieure ou égale à 10/20. Sauf que… les notes dont disposent les établissements ne sont pas forcément trimestrielles (certains sont passés au semestre).
- Sauf que… certains établissements ont inclus des bac blancs, des épreuves de compréhension orales, ont pu (ou pas) faire des CCF en EPS.
- Sauf que… certains élèves au bac 2020 auraient dû passer des épreuves pour lesquelles ils n’ont suivi aucun enseignement dans l’établissement (CNED…), voire aucun enseignement du tout ( LV rare, musique…).
- Sauf que… bien d’autres cas particuliers existent encore, et posent problème pour délivrer un bac « national » et égalitaire à partir des bulletins scolaires.
Chacun s’est donc rassuré en supposant que la note de service allait pouvoir répondre à toutes ces questions. Elle était donc attendue avec impatience… pour caler, cadrer, formaliser, concrétiser et réussir à ce que le bac soit délivré de façon équitable en suivant partout les mêmes règles du jeu.
Et l’évidence s’est malgré tout imposée : ce mode de calcul, parce qu’il a été improvisé, ne va corroborer ni les résultats ni les taux de réussite au bac des années précédentes, mais plutôt les minorer.
Le coronavirus comme déclencheur d’un autre regard sur les modalités d’évaluation ?
Le choix de figer l’année scolaire le 16 mars a mis en évidence dans chaque établissement que les notes de contrôle continu, utilisées pourtant pour l’orientation post-bac des élèves (via Parcoursup) ne sont pas le reflet exact d’un bilan sommatif des apprentissages des élèves, permettant de délivrer le bac. Et pour cause, le contrôle continu n’a pas forcément vocation à porter un regard objectif sur un niveau, mais plutôt à éclairer un parcours et un profil.
Le changement de règles du jeu a logiquement pris tout le monde de court, notamment celles et ceux qui pourtant assument de « ne pas noter pour le bac mais pour le post-bac ». Cette distinction interroge d‘ailleurs sur la « valeur du bac » et son symbole, mais aussi en creux sur ce qui est réellement travaillé et évalué pendant l’année pour l’accession au post-bac. Il apparait nettement qu’il n’y a pas à l’heure actuelle de politiques d’évaluation collectives et cohérentes entre et même dans les établissements, et que l’institution laisse faire, voire s’en accommode.
Dans ce contexte de crise, le conseil de classe aurait été le bon lieu de réflexion collective pour éventuellement ajuster les notes des élèves en fonction du regard de l’équipe pédagogique sur leur parcours. Ce n’est pas l’option qui a été retenue et c’est le jury qui aura à mener ce travail. On peut le regretter mais une fois cette règle posée elle doit être respectée pour ne pas décrédibiliser ce bac et dénaturer par avance toute idée de contrôle continu.
Car on peut s’interroger : quel est donc le sens des notes portées par les enseignant·es sur le bulletin si la situation démontre qu’il y a besoin de les « retoucher » pour le bac ? C’est bien que chacun y lit des pratiques ou des informations qui ne sont pas partagées. D’ailleurs elles sont toujours accompagnées d’appréciations qui parfois en donnent une grille de lecture. Ce sont des outils au service d’une réflexion plus globale, mais ces indicateurs ont eu tendance avec APB puis Parcoursup à devenir des « bornes », ce qui a complètement verrouillé toute réflexion collective sur ce qu’elles représentent. La réforme du lycée était une occasion de s’y pencher… mais la précipitation de sa mise en place a balayé cette réflexion.
Eloge du contrôle continu…
Reconnaitre la maitrise de contenus et de compétences identifiées ne nécessite pas obligatoirement de se fonder sur des notes mais de pouvoir porter un diagnostic sur les apprentissages des élèves. Faute d’avoir identifié réellement les compétences ou les contenus à maitriser à cause de programmes encyclopédiques, et surtout faute de définir des standards d’évaluation collectifs, les notes peuvent dire des choses très différentes. Assez paradoxalement elles focalisent le regard sur un nombre, qui peut être une moyenne d’éléments très différents comme la motivation, l’engagement, l’implication dans un apprentissage ou un bilan. Et cela engendre un classement entre élèves plutôt qu’un positionnement de l’élève sur ses apprentissages. La sur-représentation de la filière S au sein du bac général en était un symptôme.
Presque 90 % d’élèves obtiennent un bac général ou technologique chaque année, c’est donc bien qu’ils ont acquis un niveau de maîtrise suffisant pour passer dans le supérieur. Certains ont un niveau « plus que bon », mais qu’est ce que cela dit réellement de leur profil ? de leurs appétences ?
Pour le Sgen-CFDT le contrôle continu doit permettre d’accompagner l’élève et de suivre son parcours, avec ses hauts et ses bas, avec sa motivation, son engagement… Il peut prendre la forme de notes, mais pas forcément et surtout il permet une évaluation fine des compétences travaillées et de leur niveau de maîtrise. Des informations qui sont bien plus utiles pour les études universitaires que des notes, pour repérer le potentiel d’un candidat, et aux élèves pour progresser et se positionner dans un parcours.
Cela n’exclut pas des périodes de certifications / validations mais qui ne reposent pas uniquement sur des épreuves terminales identiques pour tous à un instant donné.
Le Sgen-CFDT est attaché au contrôle continu, et il revendique (notamment lors de ses propositions pour le rapport Mathiot de janvier 2018.) l’ouverture de réflexions pour lui donner du sens, non pas individuellement dans le cadre de la liberté pédagogique, mais collectivement dans le cadre d’objectifs de formation pour l’élève.
Décidément, le moment est venu de réfléchir sans tabou mais aussi sans précipitation et sans dogmatisme, à notre système d’évaluation.