Un directeur d'école maternelle en région parisienne dresse un bilan des deux premières semaines de confinement : le travail au quotidien, les retours positifs des parents... mais aussi les demandes ubuesques du recteur.
Peux-tu nous dire quelques mots sur ton école maternelle ?
Je suis directeur d’école maternelle, en Rep+, en région parisienne.
Mon école se situe au sein d’une ville d’environ 17 000 habitants, comptant une grande cité de 8 000 personnes, divisée en une Rep et une Rep+. Elle reçoit 150 élèves, répartis en huit classes (les classes de grande section, cette année, ont été dédoublées).
Comment travailles-tu actuellement ?
Après la fermeture des écoles, la première difficulté a été de gérer les consignes hiérarchiques, donc d’organiser l’accueil des enfants de soignants, de demander des enseignants volontaires… Cela nous a pris pas mal de temps.
Avec les collègues enseignants et Atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles), nous avons commencé par créer un groupe pour échanger en temps réel sur les réseaux sociaux.
Lors du premier appel pour garder les enfants de soignants, une quinzaine d’enseignants étaient volontaires sur la ville, ce qui a été largement suffisant car, dès la première semaine, nous n’avons eu qu’une dizaine d’enfants à garder. Très rapidement, l’inspectrice de l’Éducation nationale (IEN) a regroupé l’accueil des enfants dans deux groupes scolaires, puis dans un seul…
Elle a organisé des rotations de manière à ce que les enseignants volontaires ne passent pas plus d’une demi-journée avec les enfants, pour éviter les risques de contagion. Il y avait du gel hydroalcoolique et des gants mais pas de masques, sauf durant la deuxième semaine, où des masques textiles ont été distribués avec une notice d’utilisation. Ces masques ne sont absolument pas un dispositif médical, mais un geste barrière en plus, du même ordre qu’éternuer dans son coude… Il est certain qu’au regard des obligations en matière de santé et de sécurité au travail, cela ne pallie pas la protection que l’État employeur doit à ses agents.
Qu’en a-t-il été du travail avec la Mairie ?
La Mairie a pu continuer à assurer le périscolaire, c’est-à-dire la garderie le matin, le soir et la cantine. Deux Atsem sont présentes avec les enseignants. L’accueil des enfants de soignants a été préparée avec la Mairie, et la deuxième semaine, il a été étendu aux enfants des professionnels de l’Aide sociale à l’enfance, et depuis lundi 30 mars, aux enfants de pompiers et de policiers.
À chaque fois, il a fallu prévenir individuellement chaque famille de l’école de l’existence de cette possibilité, le plus souvent par téléphone. C’est une démarche qui prend beaucoup de temps et est assez compliquée parce qu’on n’a pas forcément les gens en direct. De fait, sur les blogs des classes, qui sont nos canaux habituels de communication, il y a eu très peu de réactivité des familles. Les appels téléphoniques étaient d’autant plus indispensables que notre école compte près de 30 % de familles ne maîtrisant pas bien le français… Il a fallu parfois quatre à cinq appels avec les mêmes familles. C’est ce qui a mobilisé le plus de temps durant la première semaine.
Y a-t-il une continuité pédagogique pour l’école maternelle ?
C’est un des gros points d’achoppement avec les consignes hiérarchiques.
Parmi les nouvelles mesures, concernant la situation de confinement, adressées par le recteur dimanche 22 mars, figurait l’obligation d’assurer une continuité pédagogique de la petite section à la terminale.
Or, dans une école maternelle de Rep+ ou de Rep, la continuité pédagogique n’est absolument pas l’objectif prioritaire. Ce qui prévaut, c’est la continuité sociale et éducative. Dans notre école, la situation sociale et éducative d’une dizaine d’enfants a soulevé des inquiétudes fondées.
Dans certains cas, il s’agit de familles déjà connues des services sociaux. La situation de confinement nous a immédiatement alertée comme fortement à risques dans quelques familles : maltraitance, carences éducatives, enfants ayant de lourds problèmes de santé et bénéficiant d’un PAI (projet d’accueil individualisé), foyers dans une grande détresse sociale où l’on craint un manque de ressources de première nécessité, y compris alimentaires.
Nous avons alerté l’inspectrice qui a pris l’initiative de travailler avec la Mairie pour que les médiateurs de quartier puissent aller frapper à la porte de ces familles pour s’assurer que tout va bien. Ces rencontres physiques sont évidemment limitées au maximum pour respecter les consignes des autorités publiques, mais ce sont des cas d’urgence. Ce travail a pris également beaucoup de temps.
Quant à la continuité éducative, on essaie d’aider les parents à vivre le mieux possible le confinement avec leur enfant à travers des propositions d’activités…
dans une école maternelle de Rep+ ou de Rep, la continuité pédagogique n’est absolument pas l’objectif prioritaire. Ce qui prévaut, c’est la continuité sociale et éducative.
Qu’est-ce qui t’a paru vraiment difficile ?
Le temps : toutes ces actions sont très chronophages. Mais ce n’est pas une vraie difficulté, c’est le boulot, et on a été content de le faire parce que cela nous semblait important.
Par contre, ce qui a été une vraie difficulté, au sens d’un ras-le-bol, c’est la consigne du recteur d’assurer la continuité pédagogique pour les familles qui ne disposaient d’aucune liaison Internet – ce qui excluait ceux qui sont connectés via leur mobile ; or que peut-on faire en matière de continuité pédagogique avec un simple téléphone portable ? Nous devions donc les identifier, les contacter pour leur proposer de venir chercher des supports papier à l’école et leur donner rendez-vous. On est tombé, là, dans une lamentable opération de communication, découlant des propos du ministre pour qui le confinement ne devait laisser personne au bord du chemin.
Outre que l’action de faire sortir les familles, dans le contexte actuel, était contre-indiquée, le grand paradoxe portait sur les attestations de déplacement (une pour venir à l’école et une qui serait signée par le directeur), dont le courrier du recteur disait que ces familles pouvaient… les télécharger sur Internet ! Et je ne parle pas des déplacements des personnels pour imprimer, photocopier, rassembler et distribuer des dossiers pédagogiques, d’utilisation assez courte qui plus est.
On est tombé, là, dans une lamentable opération de communication, découlant des propos du ministre pour qui le confinement ne devait laisser personne au bord du chemin.
Encore une fois, en toute petite, en petite et en moyenne sections, il n’y a pas d’autres enjeux qu’éducatifs : les enseignants peuvent proposer des petits jeux, des activités pour aider à occuper les enfants intelligemment à la maison. Dès lors, ce sont des ressources à la disposition des familles, et certainement pas une obligation. Il ne s’agit pas de faire l’école à la maison ! La maternelle ne peut pas être traitée en terme de continuité comme la terminale. C’est une méconnaissance complète de ce qu’est la maternelle.
Il ne s’agit pas de faire l’école à la maison !
Qu’est-ce qui est le plus important pour les enfants en école maternelle dans ce contexte ?
Si une chose doit être aujourd’hui demandée aux enseignants en école maternelle, c’est de garder le contact avec les familles, y compris celles où il n’y a pas de problèmes.
Certains collègues me demandaient si mettre une info sur le blog de la classe suffisait. Je leur ai dit : « je veux qu’il y ait une interaction entre la famille et vous. Si la famille laisse un commentaire, quelque part ça me va, mais ce que je préférerais, c’est que vous appeliez régulièrement et que vous les ayez au téléphone, et que vous ayez les enfants au téléphone ».
Cela peut susciter des remarques légitimes : « mon téléphone portable n’est pas professionnel » ; « mon forfait, ce n’est pas l’Éducation nationale qui me le paie ». Je les entends tout à fait. Mais j’ai envie de dire qu’on fait un métier où, parfois, il faut savoir passer sur certaines choses qui sont anormales, ou qui relèvent de réflexes corporatistes ou syndicaux, pour considérer l’intérêt de l’enfant. À circonstances exceptionnelles, réactivité exceptionnelle.
Si une chose doit être aujourd’hui demandée aux enseignants de maternelle, c’est de garder le contact avec les familles, y compris celles où il n’y a pas de problèmes.
En appelant, j’ai pu parler avec beaucoup de mes petits élèves de l’école maternelle. C’était très chouette. Les parents me racontaient ce qu’ils faisaient à la maison. On a pu échanger et c’est quand même plus sympa que de balancer des consignes sur un blog dont la moitié ne seront pas lues parce que beaucoup de parents ne savent pas lire…
Qu’est-ce qui t’a surpris ?
Les retours des familles. Les premiers retours positifs m’ont heureusement surpris. Je craignais que cela soit très dur ! Il y a des retours positifs auxquels on s’attend, mais certains m’ont étonné. Par exemple, je me suis occupé d’un enfant autiste qui n’a pas eu d’AVS (auxiliaire de vie scolaire) pendant trois mois. Il a fait beaucoup de crises en début d’année parce qu’il n’avait pas ses repères, mais depuis un mois il était très calme, il rentrait dans certaines activités. Aussi je redoutais les effets du confinement sur lui. Sa mère m’a appris qu’il ne cherchait pas à sortir, et que tout se passait bien à la maison.
Les premiers retours positifs des familles m’ont heureusement surpris. Je craignais que cela soit très dur !
Sinon, dans notre circonscription, nous avons la chance d’avoir un premier niveau hiérarchique de proximité en la personne d’une IEN très réactive. Quand elle a dû faire l’appel à enseignants volontaires pour garder les enfants des personnels de santé, elle a veillé à préciser que cela ne concernait pas les agents désignés par l’article 24 du décret du 28 mai 1982 consacré à l’hygiène et à la sécurité dans la fonction publique, qui font l’objet d’une surveillance médicale particulière (femmes enceintes, personnes handicapées, personnes revenant d’une longue maladie…) Même si le fait de contracter le Covid-19 n’avait pas de conséquences sur leur pathologie, par précaution, elle a exclu du volontariat des enseignants ces agents-là.
C’est une bonne chose parce que cette liste d’agents à surveillance médicale particulière est méconnue dans l’Éducation nationale, ignorée des agents sur le terrain qui ne connaissent pas leurs droits à cause de l’absence de médecine de prévention.
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Dessin d’Edward Lear, écrivain et illustrateur anglais (1812-1888), connu notamment pour A Book of Nonsense, paru en 1848.